Lexique et Enseignement de la Langue en Réseau d’Éducation Prioritaire ( LELREP)

Avant-projet

Au cours de plusieurs rencontres avec des enseignantes et enseignants du REP+, des directrices d’écoles, des conseillères pédagogiques, des inspectrices et inspecteurs, etc., nous avons entendu chez nos interlocuteurs de l’Éducation Nationale :

  • un constat quotidien, sur le terrain, de problèmes de vocabulaire, d’un manque de précision dans le vocabulaire, d’un vocabulaire très pauvre chez les élèves. Mais, comme nos interlocuteurs eux-mêmes le reconnaissaient et le regrettaient, aucun protocole spécifique d’évaluation du vocabulaire ne permet d’énoncer le constat plus précisément et plus objectivement.
  • des explications très générales (ex. Ils ne lisent pas.) et plutôt sociologiques. Les explications avancées n’étaient jamais relatives à des caractéristiques de la langue/du lexique, ce qui nous semblait lié à un manque de connaissances métalexicales de nos interlocuteurs.

De notre côté, en tant que linguistes lexicologues :

  • nous aurions besoin, comme base de travail, d’un recensement de (ce que l’école considère comme des) erreurs lexicales d’élèves ;
  • sans nier le bien-fondé des explications sociologiques, nous pensons qu’il est aussi possible et pertinent de caractériser linguistiquement/lexicalement les erreurs des élèves.

À l’issue de ces rencontres préliminaires, nous nous sommes fixés comme priorités dans ce projet :

  • une meilleure connaissance de l’univers scolaire et des erreurs des élèves — mais sans aller jusqu’à la collection d’un corpus d’erreurs lexicales tel celui constitué par D. Anctil pour sa thèse de doctorat (Anctil, 2010).
  • une formation minimale aux enseignants sur l’organisation et le fonctionnement de la connaissance lexicale (cf. (Polguère, 2004), (Tremblay, 2009).

Projet LELREP

Cadre institutionnel

À l’automne 2018, une convention a été signée entre le CNRS et la DSDEN 54 (Direction des Services Départementaux de l’Éducation Nationale de Meurthe-et-Moselle), pour 2 années renouvelables (2018-2019, 2019-2020) comportant deux volets :

  • 20 heures de formation à la lexicologie pour les enseignants, avec des supports de cours spécifiquement conçus pour eux.
  • 6 heures d’observation dans la classe de chaque enseignant impliqué et conseil lexicologique sur mesure pour les enseignants.

Acteurs

  • deux membres du laboratoire ATILF : Veronika Lux-Pogodalla et Alain Polguère ;
  • 7 professeurs des écoles volontaires, essentiellement en cycle 3, tous en poste en Réseau d’Éducation Prioritaire (REP+ ) ;
  • 2 inspectrices, 1 directrice de collège, 1 coordinatrice du REP+ La Fontaine.

Volet formation

Nous avons conçu une introduction à la lexicologie (fondements de l’organisation et du fonctionnement de la connaissance lexicale) en 12 séances de 90 minutes, réparties sur deux années scolaires, alternant entre :

  • présentations de notions fondamentales et incontournables (ex. la définition lexicographique), à l’issue desquelles nous remettions aux enseignants des mémos spécialement rédigés à leur intention et leur proposions quelques exercices simples de mise en pratique ;
  • travaux pratiques dont l’objectif était de revisiter des problèmes/situations observés en classe avec les notions théoriques introduites (ex. essayer de définir certaines unités lexicales ayant posé problème aux élèves (rangée dans Il y a 15 rangées de 20 sièges. et relever dans Relève les noms désignant des animaux.) et, idéalement, d’aller jusqu’à la conception d’activités pour les élèves.

Les six mémos lexicologiques en grande partie inspirés de (Polguère, 2016) :

  • Étudier le lexique
  • Du « mot » à l’unité lexicale
  • Dégager la structure d’un vocable
  • Exemplifier les lexies
  • Déterminer la structure prédicative d’une lexie
  • Définir une lexie
  • sont un premier essai pour trouver le juste équilibre entre rigueur linguistique et « médiation » des notions de lexicologie.

Nous avons systématiquement eu recours à l’interface lexique grammaire, la prise en compte de l’interdépendance entre lexique et grammaire (ex. forme pronominale des verbes vs. verbes pronominaux, régimes syntaxiques) s’avérant une clé dans la bonne compréhension des connaissances lexicales (et grammaticales).

Enfin, nous nous sommes constamment appuyés sur les modélisations lexicographiques du Réseau Lexical du Français, étoffant certaines descriptions au gré des difficultés observées en classe (ex. sur la polysémie de battre) et développant des visualisations simplifiées sur mesure pour les enseignants (Veronika Lux-Pogodalla, 2020).
Progressivement et avec l’interface Spiderlex, les enseignants sont devenus capables d’exploiter les données du RL-fr, au moins pour certains pans de lexique que nous avions explorés ensemble.

Volet observation

Six observations au moins ont été réalisées dans chaque classe. L’observatrice a systématiquement commencé par observer 1/2 journée entière avant de se focaliser sur un type de séance en particulier, par exemple :

  • séances de mythologie avec l’approche Boimare,
  • séances mathématiques sur les grandeurs et mesures,
  • séances d’histoire.
  • Chaque observation a été documentée par un compte-rendu de l’observatrice, systématiquement revu et validé par l’enseignante ou l’enseignant observé. Très exceptionnellement, des séances ont été enregistrées (audio).

Les enseignants ont apprécié les comptes-rendus d’abord pour le retour immédiat qu’ils donnaient sur leur propre travail. Cela peut paraître surprenant mais, d’une part durant la classe, les enseignants sont trop impliqués dans l’action pour avoir le temps de s’observer eux-mêmes, d’autre part, ils sont souvent seuls face aux élèves et si un observateur ou une observatrice est présent, il s’agit généralement d’un inspecteur ou d’une inspectrice.

Lors des observations en classe, les chercheurs ont relevé des difficultés et des erreurs lexicales d’élèves dans les classes. Cela leur a permis d’enrichir progressivement la formation à la lexicologie (exemples, exercice…) avec des données réelles et familières aux enseignants, ce qui contribue beaucoup à convaincre les enseignants de l’utilité, dans la pratique, des notions enseignées.

Peu à peu, les enseignants formés ont progressé dans leur compréhension des difficultés lexicales de leurs élèves et mieux identifié les erreurs lexicales : par exemple, ils sont devenus capables de fournir les sujets de séances de travaux pratiques.

Et après ?

Les perspectives sont nombreuses :

  • amélioration des mémos en prenant en compte les réactions et suggestions des enseignants ;
  • prise en compte des notions fondamentales de lexicologie dans des activités pour les élèves : amélioration d’activités existantes proposées dans des manuels, conception d’activités sur mesure pour les élèves, en réponse aux demandes des enseignants (ce qui serait pour nous une activité de consultants) ;
  • didactisation des notions fondamentales de lexicologie pour les enseigner aux élèves : cela exige de bien penser la terminologie à utiliser avec les élèves et il faut aussi veiller à la compatibilité de ce qu’on leur enseigne avec les recommandations des programmes !
  • visualisation de données lexicales sur mesure pour les enseignants et pour les élèves.

Références bibliographiques

  1. ANCTIL Dominic (2010) L’erreur lexicale au secondaire : analyse d’erreurs lexicales d’élèves de 3e secondaire et description du rapport à l’erreur lexicale d’enseignants du français. Thèse de doctorat, Montréal : Université de Montréal.
  2. LUX-POGODALLA Veronika (2020) « Des graphes lexicaux pour donner à voir des motifs de confusion entre unités lexicales ? », Lidil [En ligne], 62 | 2020, URL
  3. POLGUÈRE Alain (2004) Savoir consulter un dictionnaire, c’est bien ; savoir comment le construire, c’est mieux. Québec français 134, 68–70.
  4. POLGUÈRE Alain (2016) Lexicologie et sémantique lexicale. Notions fondamentales. 3 e éd., Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal.
  5. TREMBLAY Ophélie (2009) Une ontologie des savoirs lexicologiques pour l’élaboration d’un module de cours en didactique du lexique. Thèse de doctorat, Montréal : Université de Montréal.