Thèse

OBSTACLES ET FACILITATEURS A L’INCLUSION SCOLAIRE DES ELEVES ALLOPHONES DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE EN FRANCE, INCIDENCES DIDACTIQUES

Ma recherche, de type qualitatif, porte sur l’inclusion scolaire d’élèves dits allophones en cours ordinaires dans le secondaire public en France.

Sous la direction de Dominique Macaire, j’ai développé dans mon travail de thèse un cadrage didactique. Cependant, j’ai fait le choix de la transdisciplinarité lié, d’une part, à ma revue de littérature et, d’autre part, pour suivre le précepte de « faire le pari de l’incertitude » (Morin, 2000). En effet, les travaux de Guedat-Bittighoffer (2015), les recherches de Goudeau (2020), de Jacobs (2018) et les recherches ethnoculturelles de Armagnague et al. (2019), de Bribaum et Primon (2016), de Bruggeman (2016), de Mendonça Dias (2018 ; 2020) m’ont beaucoup inspirée. Ces travaux n’envisagent pas les effets didactiques sur l’inclusion mais analysent des difficultés aux niveaux macro et méso, parfois au niveau micro. Pour ma part, j’ai envisagé de me placer aux niveaux micro et nano pour éclairer les processus d’apprentissage en lien avec les modalités didactiques pour proposer, dans une perspective épistémologique, des pistes de réflexion.

Les objectifs de cette recherche étaient, d’une part, de clarifier la notion d’allophonie dans sa diversitéavec une analyse diachronique de la littérature institutionnelle. D’autre part, il s’agissait d’étudier les obstacles à l’inclusion scolaire des élèves allophones (scolarité antérieure ; âge d’arrivée sur le territoire français ; origine ethnoculturelle ; place accordée au registre linguistique pluriel ; insécurité scolaire ; formation des enseignants ; coordination des personnels éducatifs ; niveau socioéconomique post-migratoire ; fratrie et place dans la fratrie ; absence de programme en FLS) pour observer s’ils se manifestent – et comment ils se manifestent. Mon troisième objectif, corollaire du second, était d’étudier les facilitateurs à l’inclusion scolaire. Cinq facilitateurs ont émergé : la scolarisation antérieure, la connaissance de l’alphabet latin à l’arrivée en France, le contact prémigratoire avec la langue française, les effets du niveau socio-économique familial et les modalités de scolarisation en France.  Après analyse, ces facilitateurs hypothétiques ne sont pas toujours des points de résolution, tels la maitrise prémigratoire de l’alphabet latin, le contact prémigratoire avec la langue française, le niveau socioéconomique familial. De plus, cette analyse m’a permis de repérer un glissement de sens institutionnel entre inclusion au sens didactique et sa réalisation.

J’avais également pour objectif de comprendre les incidences didactiques des facilitateurs sur le développement littéracique. Pour ce faire, j’ai observé mes données à quatre niveaux, sur un empan temporel borné (septembre 2015- juin 2016) qui correspond au temps du recueil : le niveau micro, le niveau méso, le niveau macro et le niveau nano (Grossetti, 2006). Au niveau micro, j’ai étudié des pratiques d’enseignement à travers des travaux d’évaluation qui éclairent l’action des enseignants (démarches des enseignants ; formes, modalités d’exécution et effets remédiations proposées aux apprenants). J’ai situé au niveau méso les pratiques dans le cadre de l’établissement et de l’académie de Nancy-Metz ainsi que les relations école-familles à travers les dispositifs d’aides à la scolarité proposés dans les deux établissements de recueil. Le niveau macro a constitué l’échelle des politiques éducatives (les programmes scolaires ; le référentiel CECRL ; la progression curriculaire) et au niveau nano, je me suis située du côté des élèves (signes de la motivation et d’engagement des apprenants dans leur scolarité à partir des entretiens, des questionnaires et des bulletins scolaires. Cette quadruple échelle d’observation m’a permis d’étudier les incidences didactiques sur l’inclusion et de répertorier leurs enjeux sur le développement littéracique des allophones enquêtés. Mon ultime objectif consistait en la compréhension des pratiques scolaires en œuvre analysées au niveau micro et au niveau méso (choix, formes d’action et incidences didactiques de quelques pratiques scolaires à l’œuvre dans le corpus). Il s’agissait d’étudier la transférabilité didactique entre cours disciplinaire de français et cours de FLS – avec la réserve toutefois que mes données reposaient sur des travaux écrits d’évaluation et non une observation des processus.

J’ai développé trois questions de recherche pour étudier les obstacles et les facilitateurs de l’inclusion en cours ordinaires. D’abord, le contexte sociolinguistique n’est pas en soi, un obstacle à la réussite scolaire des élèves suivis – ce qui sous-tend l’hypothèse communément admise que le niveau socio-économique, lié au capital culturel et scolaire parental, peut être un frein au développement littéracique. Mon corpus de thèse montre, à rebours de nombreux travaux de recherche en sociologie et en sociolinguistique, que la situation socio-économique n’explique pas en soi l’inclusion réussie (donc ni l’apprentissage ni l’acquisition). Le capital scolaire parental n’étant pas en interdépendance avec le niveau économique familial post migratoire, souvent minoré, il apparait davantage un facteur favorisant le développement littéracique des apprenants allophones, Le parcours scolaire des apprenants allophones et leur développement littéracique dépendent d’autres éléments concomitants. Cette question de recherche repose sur l’analyse des éléments recueillis dans les questionnaires (QUEST) et au cours de l’entretien (ENTR) que j’ai croisés avec les questionnaires (QUEST), les bulletins (BULL) ainsi qu’avec le lieu de scolarisation. Ma deuxième question de recherche porte sur la liaison entre la pratique pédagogique et le savoir conscientisé et la transférabilité des savoirs et des compétences. De nombreux travaux portent sur les liens entre l’école et les familles immigrées ou les enfants de migrants. Par exemple, Lahire (1995) a montré qu’un événement a priori anodin (tel l’encouragement d’un parent ou l’aide d’un voisin) dans les milieux populaires est susceptible de modifier de manière significative le rapport à l’écrit et, plus largement, aux savoirs scolaires. Cependant, les travaux sur les inégalités scolaires tendent globalement à placer au second plan la question du rapport des familles à l’école, derrière l’origine sociale. Or, à origine sociale identique, le rapport à l’école est multiple et la maitrise du FLSco dépend largement plus des modalités scolaires que du lien des familles à l’école – même si ce dernier ne peut être nié. Je me suis intéressée à l’affiliation rapide des élèves allophones (préconisée par l’Institution) dans les cours de français disciplinaire afin d’étudier si elle permet un apprentissage plus rapide et mieux maitrisé du FLS – notamment à l’écrit. L’analyse des pratiques diversifiées des enseignants participant à ma recherche (types d’adaptations ; modalités d’évaluation ; progression des démarches) montrent une hétérogénéité sur l’apprentissage et la progression des élèves suivis. Selon le croisement de mes données, les progrès des apprenants suivis ne sont pas consécutifs, en soi, des démarches engagées en français disciplinaire car corrélés à des facilitateurs et des obstacles connexes (scolarité antérieure ; motivation ; environnement scolaire). En revanche, dans mon corpus, les élèves suivis qui réussissent sont aussi ceux qui bénéficient d’adaptations – sauf quand celles-ci pêchent par excès. Il apparait un accès inégal à la formation (initiale et continue) des enseignants participant à ma recherche et qui n’ont guère recours à des ressources réflexives pour analyser leur environnement scolaire et à des leviers pour mieux « accrocher » les élèves. Certains font montre d’approches diversifiées, de stratégies adaptatives, tant en cours d’apprentissage que durant les phases évaluatives et de remédiation, bien que ces démarches restent largement individuelles, peu concertées entre disciplines, et ne fournissent pas suffisamment matière à une continuité favorable aux élèves, voire aux dispositifs eux-mêmes. Pour répondre à cette question de recherche, je n’ai pas utilisé d’indicateurs issus d’une observation de processus et de leurs effets. Ma recherche reposant sur les traces écrites des démarches didactiques, j’ai étudié les résultats des évaluations recueillies (TRAV) articulés aux bulletins scolaires (BULL) et les propos des apprenants (ENTR). Enfin, ma dernière question de recherche permet d’examiner dans quelle mesure l’inclusion en cours ordinaire de français donne du sens à la scolarisation de l’apprenant. Se réfère à cette hypothèse le double postulat que le français disciplinaire mobilise plusieurs aspects de la langue (langue-outil ; langue-objet ; langue-moyen) et permet des transferts didactiques entre le cours de FLS et le cours de français ordinaire. Est liée à cette question de recherche l’hypothèse que les enseignants de français disciplinaire pratiquent des adaptations didactiques et pédagogiques inclusives. Cette question de recherche repose sur l’analyse croisée des écrits autobiographiques de projection (PROJ), des entretiens (ENTR) et des questionnaires (QUEST).

            L’analyse des données recueillies a abouti à plusieurs conclusions. D’abord, au sujet du paradigme allophone. L’étude des textes institutionnels présente une diversité terminologique évolutive et avant la Circulaire 2012-141 du 2 octobre 2012, la catégorisation de ce public s’adosse aux préoccupations politiques et sociales françaises (Castellotti, 2009 ; Galligani, 2012). Il s’agit de points de vue d’acteurs qui portentessentiellement sur la culture scolaire préexistante des élèves migrants et qui ne tiennent pas compte du métier d’élève. En recentrant la catégorisation du public particulier allophone sur une problématique linguistique, une faille sémantique a été, paradoxalement, ouverte. En utilisant le terme allophone, l’institution scolaire n’est pas en mesure de rendre explicites les besoins hétérogènes de ces apprenants ni dans leur globalité, ni dans leur spécificité, ni même de prendre en compte ces apprenants de manière holistique. Elle les caractérise comme « en creux » : elle distingue les besoins spécifiques de ces élèves sans pour autant les étudier, en les plaçant dans un ghetto linguistique et culturel et figé dans le temps, puisqu’il ne prend pas en compte les diverses vagues migratoires. Or, définir ou renommer révèle une manière de concevoir le monde et de com-prendre, dans le sens de le « prendre avec soi ». La désignation détermine les choix éducatifs.

Ensuite, mes données confirment que le contexte socio-économique des élèves allophones n’est pas, en soi, un obstacle à la réussite scolaire. Si la plupart des enfants allophones suivie est issue d’un niveau socio-économique fragile ou qui s’est dégradé avec la migration, la composition familiale et la taille de la fratrie sont variables, voire peu importante. Il ressort de mes données que les familles issues d’un milieu socio-économique défavorisé sans capital scolaire investissent la scolarité de leurs enfants dès lors qu’elles ont saisi les enjeux de l’école. La notion de « milieu » joue davantage un rôle dans le développement scolaire et la réussite des élèves. le statut de mineur non accompagné freine la réussite scolaire parce que le temps de scolarisation est réduit et que la stimulation éducative de la famille fait défaut. En revanche, certains facilitateurs ressortent de mes données : les modalités de la scolarisation et le climat et l’environnement scolaire. La scolarisation antérieure effective et régulière des élèves est un facteur de réussite que partagent les allophones suivis, toutes origines culturelles confondues.

De plus, l’institution promeut le plurilinguisme dans les documents de référence, mais les conditions de sa réalisation ne sont pas effectives au sein des classes. Cette distorsion entre les prescriptions institutionnelles et la réalité des terrains (Macaire & Reissner, 2019) s’explique sans doute par les dilemmes auxquels fait face l’institution scolaire : donner toute sa place à la langue française mais offrir un espace à l’identité des apprenants issus de la diversité (respectant en cela les décisions politiques liées aux résolutions européennes), prendre en compte la diversité des cultures tout en promouvant un modèle citoyen normé. À cette distorsion s’ajoutent des inégalités scolaires liées aux espaces académiques et aux territoires. En dépit d’un cadrage national, les aménagements spécifiques pour la scolarisation des élèves allophones varient sur le plan académique, voire départemental (Evascol, 2018). Selon les académies (niveau macro), les circonscriptions et au sein-même des établissements (niveau meso), l’inscription en cours réguliers diffère fortement (Armagnague-Roucher & Rigoni, 2018). Il apparait des modalités de fonctionnement hétérogènes entre les UPE2A et l’inscription en classes ordinaires varie considérablement entre les deux établissements de recueil.

 

Thèse soutenue le 26 novembre 2011 à l’Université de Lorraine devant un jury composé de

J.P. Cuq (PR émérite, Université Côte d’Azur),

M. Armagnague (PR, Université de Genève),

F. Chnane-Davin (PR, Aix-Marseille Université),

J.M. Perez (PR, Université de Lorraine),

S. Behra (MCF, Université de Lorraine),

D. Macaire (PR, Inspé-Université de Lorraine).

https://docnum.univ-lorraine.fr/public/DDOC_T_2021_0219_PREVOST.pdf